Par Monts et par Vaux

 

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La Via Mala (Grisons, Suisse)

Vers l’accueil général des Voies de communication historiques

 

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Présentation :

 

Immortalisée par l'écrivain suisse John  Knittel (1891-1970) dans son roman "Via Mala" (éditions Albin Michel) et plusieurs films du même nom, cette gorge, légendaire voie de communication à l'aura funeste, demeure un paysage romantique au charme puissant.

Ici, la force de la nature s'exprime clairement : les roches se délitent et bougent, l'eau ruisselle ou s'égoutte, le soleil, même au coeur de l'été, ne peut projeter ses rayons.

L'homme est tout petit dans cet univers qui le dépasse.

 

Via Mala (Grisons, Suisse) 800 m. d’alt., le 9 Août 2008.

 

Jadis route commerciale et liaison importante Nord-Sud, elle est aujourd'hui très fréquentée par les touristes, randonneurs et très appréciée des sportifs amateurs de canyonning et aquarandonnée.

Située entre Thusis et la vallée de Schams, la Via mala est la gorge la plus belle des Grisons en Suisse.

 

Ci-dessous, l’endroit le plus resserré de la Via Mala :

Via Mala (Grisons, Suisse) 800 m. d’alt., le 9 Août 2008.

 

Profondes de 600 m, les gorges du Rhin oriental peuvent être parcourues sur toute leur longueur, le secteur de la Via Mala se composant de trois parties qui sont :

Le trou perdu entre Thusis et Rongellen,

L'élargissement de Rongellen,

La Via mala proprement dite entre le premier et le troisième pont.

 

Les spécialistes distinguent  (dans l'ordre analogique) une gorge inférieure, celle du milieu , et la gorge supérieure.

Juste avant le premier pont, dans la partie supérieure, on peut reconnaître dans la paroi ouest des matériaux jaunâtres argileux avec des éboulis ronds de la vallée de Schams et des vallées de Rheinwald et d'Avers (vallées situées plus haut).

Ces moraines et cailloutis prouvent que la partie supérieure de la Via mala était autrefois couverte par le glacier du Rhin.

De plus, on peut voir à partir du premier pont, à côté des escaliers, des gorges plus anciennes de 2 à 5 m, aujourd'hui naturellement couvertes d'éboulis et de cailloutis.

On peut distinguer en tout trois de ces vieilles gorges qui ont dû toutes se former avant la dernière époque glaciaire.

La Via Mala se situe dans l'ardoise grisonne, roche relativement molle sur toute sa longueur.

 

Entre les deux ponts, 321 marches mènent à des marmites érodées au fond de la gorge (visibles ci-dessous) :

 

Via Mala (Grisons, Suisse) 800 m. d’alt., le 9 Août 2008.

 

De Zillis à Thusis, on peut suivre le chemin culturel de la Via mala par des chemins romains et sentiers muletiers, la route commerciale de 1821 par des ponts piétonniers modernes, côtoyant des châteaux en ruine.

L'office de tourisme de Thusis organise des visites guidées d'une heure.

A Zillis visiter l'église romane Saint Martin pour ses fresques donnant la dimension religieuse des peurs suscitées par ce lieu.

Le village de Hohen Rätien , juché sur un plateau rocheux surplombant les gorges offre une vue magnifique.

Autour de la forteresse des fouilles ont mis à jour des sites préhistoriques.

A Carschenna, des peintures rupestres datant de 1800 avant notre ère ont été découvertes il y a quelques années.

 

Ces vestiges attestent d'une très ancienne implantation humaine malgré un contexte qui peut paraître au premier abord hostile.

De même, la fréquentation des gorges comme voie de communication, qu'elle soit commerciale ou autre montre l'adaptabilité et l'ingéniosité de l'homme mû par ses diverses "obligations".

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Historique :

 

Des fouilles et recherches ont montré que la Via Mala (mauvais chemin en Latin ) avait déjà été fréquentée du temps des Romains.

Ainsi, le général romain Stilicho (360-408) a traversé au moins deux fois la Via mala en passant par le col de Splügen pour aplanir des conflits avec les Germains au Nord des Alpes.

En voyant les restes du sentier de moins d'un mètre de large, taillé dans le rocher qui le protège encore des éboulements comme une voûte on peut avoir une faible idée de la difficulté  d'une telle expédition guerrière.

Aux périls encourus, on peut aussi imaginer les dangers pressants qu'incarnaient ces Barbares pour l'Empire.

Dans la paroi en face de l'escalier, il est sensiblement à la même hauteur que la route actuelle.

Il a disparu par endroits à cause des chutes de pierres et glissements de terrains.

 

Ci-dessous, les restes de l’antique et périlleuse voie romaine :

Via Mala (Grisons, Suisse) 800 m. d’alt., le 9 Août 2008.

Via Mala (Grisons, Suisse) 800 m. d’alt., le 9 Août 2008.

 

Au Moyen Age, ce passage long de 6 km symbolisait tous les dangers de la traversée des Alpes et était des plus redoutés.

Pèlerins, marchands et muletiers cheminaient à flanc de montagne avec leurs bêtes de somme  lourdement chargées sur le sentier étroit, entre les parois vertigineuses à demi éboulées, juste au dessus de l'abîme où 70 m plus bas bouillonne le torrent...

Le moindre faux pas, un écart et c'était la chute fatale.

Les communications sont restées dangereuses jusqu'à la fin du Moyen Age.

De plus, la route Coire -Splügen  San Bernardino risquait d'être dépassée  par la route de Septimer plus en vogue.

Les trois villages de Thusis, Cazis et Masein décidèrent donc de constituer une société de transport (ports), ils furent rejoints plus tard par 5 autres "ports".

Regroupés en corporations de portage à dos de mulets, ils furent les détenteurs pendant plus de 350 ans du monopole du transport sur cette voie.

Un pont à double arche fut construit près de Zillis en 1437, et victime des intempéries en 1834.

Par un écrit en date du 25 avril 1473, la société formée des commerçants de Thusis, du Schams de la vallée du Rhin postérieur et de celle de San Giacomo sur le versant Italien s'engagea à aménager, élargir et entretenir la voie commerciale reliant Thusis à Chiavenna par le col de Splügen à leurs frais.

Les chemins devaient être dégagés, déblayés et parfois retracés au moins au printemps et plusieurs fois par an suivant les intempéries.

Les prix et conditions de transport des marchandises étaient dès lors fixés par ce cartel.

La prime de risque exigée par les muletiers apporta à la population locale une prospérité peu commune à l'époque dans le canton des Grisons.

Amélioration très profitable puisque selon un rapport de 1498, la Via Mala pouvait être parcourue par des diligences même de nuit.

 

Ce tracé rapide, qui n'était pas encore identique à l'actuel, semble avoir existé pendant plus de 200 ans.

Vers 1650, des marchands hollandais à la recherche de la route la plus économique vers le sud tentent de s'infitrer dans le monde des cartels.

Afin d'obtenir  une représentation réaliste des dangers encourus, ils envoient le peintre Jan Hackaert en mission secrète : se présentant comme peintre paysagiste il fournit des croquis remarquablement précis attestant que déjà à l'époque la route valait bien mieux que sa réputation.

Les aménagements étaient satisfaisants, le risque de perte de marchandises fut jugé faible.

La concurrence devant continuer à croire que la Via Mala était une voie de transport trop périlleuse, les dessins de Jan Hackaert furent classés top secret.

Le mythe attaché à cette route profita une seconde fois aux commerçants, hollandais cette fois.

 

En 1737-39, les ports firent construire la nouvelle route et le célèbre maître Christian Wildener de Davos les deux ponts arqués en pierre qui sont encore en partie conservés (un très bien , du second ne subsistent que les amorces ancrées dans la roche).

Dès leur construction, emprunter la route ne présentait quasiment aucun risque.

Ce nouveau tracé correspond en gros à celui que nous connaissons aujourd'hui.

 

Ci-dessous, la plaque de construction de l’ancien pont terminé en 1739 :

Via Mala (Grisons, Suisse) 800 m. d’alt., le 9 Août 2008.

 

Ci-dessous, l’ancien pont de 1739 vu depuis le nouveau pont :

Via Mala (Grisons, Suisse) 800 m. d’alt., le 9 Août 2008.

 

Ci-dessous, les 2 ponts côte à côte : l’ancien pont bien conservé de 1739 masque en partie le nouveau pont emprunté par les automobiles aujourd’hui :

Via Mala (Grisons, Suisse) 800 m. d’alt., le 9 Août 2008.

 

Ci-dessous, les 2 ponts enjambent une partie réellement impressionnante de la gorge :

Via Mala (Grisons, Suisse) 800 m. d’alt., le 9 Août 2008.

 

Dans les années 1821-23 des améliorations ont été apportées.

Après la république cisalpine créée par Bonaparte, la vallée de San Giacomo revient aux Habsbourg avec l'ensemble de la Valtelline, il fallait  de bonnes voies de communication vers le Nord pour défendre les possessions séparées de la mère patrie par de hauts défilés montagneux.

Entre 1818 et 1826, le nouveau pouvoir fit construire des routes carrossables menant par le col de Splügen et de San Bernardino à Thusis puis de là à Coire et jusqu'en Europe du Nord.

Le commerce se développa alors, des diligences suisse faisant régulièrement la navette Coire Milan.

 

Malgré tout, le mystère et le dramatique devaient prévaloir dans l'imaginaire collectif et il était toujours soigneusement entretenu par certains écrivains, dont Friederike Brun en 1800 dans son journal :

"Tout espoir meurt ici, où, des entrailles de la Terre, résonne la plainte de l'eau dans son froid cachot, telle la voix d'un mourant.Nous sommes environnés de lugubres et sauvages rochers qui troublent l'esprit, anéantissent l'être.Des fantômes blafards flottent dans l'espace et des spectres surgis du chaos de la nuit effrayante soufflent leur haleine froide."

Description mélodramatique, fantasmée et extravagante faisant appel au surnaturel alors qu'à mon sens ce qu'on ressent dans ces lieux, c'est la force , la puissance de la nature et sa confrontation à l'homme.

Combat inégal pour l'une et l'autre.

L'homme peut tenter de l'aménager, elle sera toujours sauvage et de ce fait fascinante et dangereuse car indomptée.

 

Ci-dessous, sous le nouveau pont, la nature demeure menaçante !

Via Mala (Grisons, Suisse) 800 m. d’alt., le 9 Août 2008.

 

Mais l'ouverture en 1882 du tunnel ferroviaire du Saint Gothard scella le destin de cette route commerciale, entraînant le déclin économique des villages de transit où jadis un adulte sur deux vivait directement ou indirectement du commerce

 

Récemment , on a construit un tracé tout à fait nouveau garantissant une communication rapide Nord Sud.

Témoin de la forte fréquentation touristique des gorges, une plaque (visible ci-dessous) rappelant un tragique accident et l'acte d'héroïsme moderne qui a coûté la vie aux personnes venues porter secours.

Comme quoi, même les nouvelles technologies ne peuvent nous prémunir des accidents..

 

Via Mala (Grisons, Suisse) 800 m. d’alt., le 9 Août 2008.

 

Mais c'est aussi la force du torrent, trombes d'eau descendues des pentes après de forts orages sur les sommets, s'engouffrant dans les gorges , s'y précipitant à grande vitesse et comme dans un entonnoir qui peut surprendre les vacanciers  mal informés des dangers de la montagne et notamment de la brièveté et violence des orages qui y éclatent.

 

La Via Spluga, 65 km de sentiers historiques reliant la Via Mala au col de Splügen et la mettant en communication avec le Sud :

Aménagée par les Romains dans la roche, laissant parfois apparaître des marches creusées dans le granit, large de moins d'un mètre de large, le parcours n'est bordé d'aucune balustrade ce qui  le rend d'autant plus impressionnant et spectaculaire.

Par temps humide et neigeux, il peut devenir dangereux.

Les gorges de Cardinello qui prolongent la Via mala côté italien ont été totalement épargnées par la modernité; les véhicules à moteur préférant  emprunter le route commerciale ouverte par les Habsbourg qui serpente à bonne distance de ce sentier avant de rejoindre la vallée.

Rénové en 1711, le chemin de Cardinello n'a pas été supplanté par des voies routières modernes mais tout simplement laissé à lui même ce qui en fait le fleuron de la Via Spluga.

Au fond du précipice, le Liro gronde et bouillonne.

Cadre d'un accident tragique en 1800 où plusieurs centaines de soldats napoléoniens furent emportés par des avalanches successives.

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Un peu de toponymie :

 

Si le nom de Via Mala fait clairement référence au latin "mauvais chemin", Via Spluga et Splügen ont aussi  la même origine.

 

Partons du Grec spelunca (grotte, caverne) et logos (discours) nous obtenons l'étymologie du très connu spéléologie (étude des grottes et cavernes).

Spelunca (caverne, antre, grotte) est passé au Latin sans subir de transformation.

 

Au long des invasions Romaines, il s'est perpétré et souvent  modifié sous l'influence des langues des autres peuples vivant sur le territoire conquis et occupé (ces langues sont appelées substrat).

En Italien (Toscan) spelonca.

En Espagnol (Castillan) espelunca , remarquez le renforcement avec l'ajoût du "e" initial qui est une différence caractéristique entre les deux langues.

Spélungue caverne en ancien Français.

Passons ensuite aux différentes langues régionales qui font la richesse culturelle et l'originalité de nos pays :

De l'Ouest à l'Est dans la zone de langue Occitane (différentes langues étroitement apparentées) :

En Gascogne : espalugue (caverne, antre, grotte).

Espeluga grotte dans les Hautes Pyrénées.

Espugue variante espugette : caverne, abri sous roche dans la même zone.

De même, à Lourdes, le chemin pentu des Espélugues qui est un des sites préhistorique (grotte occupée du Paléolithique supérieur au Magdaléen récent) les plus beaux des Pyrénées et abrite par ailleurs un Chemin de Croix.

Il s'agit ici du Bigourdan ou Béarnais.

Espluga : grotte en Catalan.

Sous les formes espelonga, espelunga, espeluca, l'Occitan désigne caverne ou grotte comme le gouffre de Dions , les Espéluques dans le Gard (30).

Espéluque désigne aussi en Provence le cratère d'un volcan éteint.

N'oublions pas le plateau jadis désertique, rocheux et creusé de grotte, les Spélugues, ancien quartier supérieur de Monaco qui après son détachement des Alpes Maritimes (06) vit la construction du Casino (1879), du Café de Paris (1882) et prit le nom de Monte Carlo en l'honneur de Charles III.

Devenu carré d'or avec les nombreuses boutiques de luxe et les hôtels de prestige tels l'Hermitage et le Métropole, le toponyme a été conservé et désigne une avenue.

On trouve dans les Alpes Maritimes des spélugues dans le même sens de grotte caverne.

Il s'agit ici du Nissart ou Niçois.

Traversons la Méditerranée pour rejoindre la Corse où spelonca désigne une grotte, une caverne ou un défilé étroit, variante spelanca.

Retournons à notre point de départ, la Suisse, Spluga et Splügen et remarquons l'influence germaine dans la prononciation , le "s"  devant une autre consonne se prononçant comme notre "ch".

"u"  correspondant à notre "ou " et "ü" comme notre "u".

Mais je n'ai pas d'explication pour la différence de prononciation de deux toponymes de même sens et si proches géographiquement..

Je pencherais pour une adaptation à la langue Allemande transmise par la graphie (écriture).

De même que pour le pluriel en "en" qui se réfère aussi à cette langue.

A proximité, la Via Francesca, ancienne voie d'échange et de pélerinage serpentant entre les forets mixtes et hameaux abandonnés permet de passer devant un crotto, resserre aménagée dans la pente et faisant usage de cave pour conserver vin et vivres au frais.

Ici, c'est un terme bien plus habituel qui a été employé mais le relief confirme bien le toponyme.

A rapprocher de sprügh et sprüch qui désignent dans les vallées du Canton du Tessin (Ticino) des caves et resserres sous des gros rochers.

Dans la vallée de Blenio, à Ludiano, petite auberge qu'on nomme dans la région grotto (sans doute par extension avec crotto, lieu où on conserve la nourriture) Grotto Sprüch, nom quelque peu pléonasmique car il réunit deux termes de sens équivalent.

Toujours dans le même canton, dans le Centovalli, petit village nommé Spruga.

 

Un grand merci à Alessandro Margnetti alias Orsobblu, ami du Net qui m'a donné tous ces renseignements sur sa région.

 

"Via Mala" a gardé son nom et sa mythique dangerosité depuis cette lointaine époque.

De même, il est intéressant de retrouver dans la toponymie des traces du grand peuple civilisateur que furent les Romains, et dans des lieux aussi éloignés géographiquement.

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Vers l’accueil général des Voies de communication historiques